Le gardien des rêves ...
Quand j'étais petite fille...
Quel âge ? Six ans ? Sept ans ? Plutôt six, je pense... Mais peut-être sept... En tous cas, c'est dans ces eaux-là... Pas grande et déjà grande quand même. Vous voyez quel âge c'est ?
Quand j'étais petite fille, disais-je donc, j'ai apprivoisé le gardien de la Nuit.
Ca se passe à l'aurore du sommeil.
Au moment où les yeux se ferment et où les paupières se colorent d'autre chose que l'obscurité qui est autour du lit. C'est le moment où les êtres de la nuit sortent de leurs cachettes. Chez certains enfants, paraît-il, ils arrivent en dansant et en trottinant le long des murs. Chez moi, ils arrivaient en rampant et j'avais peur.
Depuis quand ? Sûrement depuis toujours, car toute petite, j'ai fait des cauchemars terribles. Je me souviens encore de certains que j'ai fait quand j'avais trois ou quatre ans. Des cauchemars de qualité, je vous assure.
A six ans, donc, je voyais arriver le sommeil avec terreur, car c'était le moment où l'obscurité se remplit de monstres prêts à dévorer mon sommeil. Les plus petites de ces créatures arrivaient les premières, puis d'autres, plus grosses et plus hardies, et ma peur grandissait. Pour finir arrivait, toujours bon dernier (et puis, qui donc aurait pu arriver après lui?) une espèce de grand dragon gris pâle ou blanchâtre, serpentant dans les airs, et devant qui les autres s'écartaient. Il était immense, très haut. Je n'en voyais pas la tête, même s'il était évident qu'il devait en avoir une. Il se détachait dans la nuit sans être pour autant vraiment lumineux. Plutôt fluorescent, comme les autocollants posés sur la piste d'envol des navettes spatiales en legos, dans la chambre de mon frère.
On appelle ça, je crois, avoir peur du noir... Mais le noir ne fait pas peur. C'est ce qui est tapi derrière, qui fait peur! Le noir est doux, tendre, presque rassurant... Seulement, tellement de bestioles inquiétantes le suivent de près ou de loin!
C'est toujours à ce moment-là, quand le dragon était arrivé, que mon demi-sommeil faisait place à un sommeil plus profond. pas forcément calme... Mais en tous cas, je dormais, à partir de là.
Vous me direz... Je dormais aussi avant ?
Oui et non... Car je pensais, aussi. Et même, je pensais très fort. Je pensais à ce que je pouvais bien faire pour éloigner les monstres de la nuit et dormir en paix.
Et un jour, j'ai pris une grande décision: j'ai décidé d'apprivoiser le grand dragon blanc. A partir de maintenant, je ne tremblerais plus quand il apparaîtrait et je ne me cacherai plus sous la couverture.
Hé bien...
Croyez-le si vous voulez, mais le dragon blanc qui me faisait si peur, à partir de cette nuit-là, a gardé mes nuits des autres monstres de l'obscurité.
*
*
*
Plusieurs années après ça, j'ai trouvé, dans le livre "Jean-Yves à qui rien n'arrive" une histoire de monstres des rêves qu'on doit apprivoiser... Quelque chose me dit que je ne dois pas être la seule à avoir vécu a. Il faut, un jour, faire siennes ses propres peurs. Même quand on est petit et que la nuit est grande.
*
*
*
Pourquoi j'ai fait une tête humaine à mon dragon, sur ce dessin ? J'en sais fichtre rien... Peut-être simplement parce qu'il fallait bien concentrer quelque part dans le dessin l'idée de bienveillance qu'il y a dans le gardien du commeil ? Ou peut-être parce que j'en ai assez des dragons à tête de lézard...